Temple du ciel


Bonjour,

Une semaine s'est déjà échappée depuis que j'ai élu domicile au pays de l'inskypable. J'apprécie chaque jour davantage ma chambre, à force d'entendre d'autres internationaux qui n'ont pas d'eau chaude même durant les huit heures concédées (de 7 à 9h, de 15 à 17h et e 20 à 00h) et en me souvenant que les étudiants chinois n'ont qu'une heure de 7 à 8h pour se laver sans manquer de mourir transis par le froid. J'ai enfin rencontré la fille de la chambre d'à côté avec laquelle je partage salle de bain et kitchenette. J'ai pu lui arracher quatre mots ("Indonesia","majoring in English") avant qu'elle ne ferme sa porte et mette un signe rouge "do not disturb". Au moins je suis tranquille contrairement aux autochtones qui s'entassent à six dans la même pièce dans deux lits superposés comportant chacun trois couchettes.
Entre deux visites, mes cours ont débuté. La population du MBA est étonnante : si la plupart a travaillé durant 4/5 ans, on trouve aussi des coréens de 40/45 ans côtoyant malgré eux près d'un tiers d'étudiants en échange sans expérience professionnelle significative. Si les commentaires que ces vieux étudiants font ne sont pas remarquables par leur intelligence, ils le sont souvent par leur richesse et leur pertinence, puisque basés sur leur vécu. Déjà fervente opposante à la "proactivité" en cours prônée par les administrations des écoles de commerce afin d'abolir les cours magistraux, je sors de mes cours de MBA à la Tsinghua renforcée dans l'idée qu'il est ridicule de s'attendre à ce que des élèves complètement inexpérimentés puissent alimenter une discussion en classe avec la même abondance que des gens qui ont dix ans de management derrière eux en entreprise.
Ce matin, je regarde par la fenêtre et n'aperçois pas même l'immeuble en face du mien : pic de pollution. Vissés à nos applications Beijing Air Quality, nous consultons tous les jours avec la frénésie des boursicoteurs l'indice de la concentration de particules dans l'air. Les variations sont phénoménales. Hier encore l'horizon était cyan, quoi de mieux pour aller visiter le Temple du Ciel ?
Retour à Tien'anmen, au sud de la place cette fois-ci, d'où descend une avenue, véritable pendant de Disneyland avec ses hordes de touristes asiatiques et ses enseignes (de Rolex à une boutique de contrefaçons Lacoste) dans des magasins aux chinoiseries trop surfaites pour être d'époque. Sorti de ce décor Potemkine, on se retrouve dans un bon vieux hutong avec un poulailler d'oies et de coqs (en plein Pékin). Enfin l'on pénètre le parc Tiantan qui abrite les temples où l'Empereur venait exécuter les rites de la cosmologie chinoise (prières pour avoir de meilleurs moissons, etc.).
Une fois encore, Pékin se montre bien plus intéressante que São Paulo. On ne peut que s'arrêter pour reprendre sa respiration devant de telles splendeurs. Ne manquez pas de constater sur les photos les peintures sur les poutres de la galerie Changlang et les plafonds à caissons. Tout ça est évidemment inscrit au patrimoine de l'UNESCO. Pourtant, pas grand chose n'est d'époque. Détruit par un incendie le temple du ciel a été reconstruit fidèlement en 1890. Les Chinois semblent maîtres dans l'art de détruire puis reconstruire à l'identique, soit dit en passant. Il est d'ailleurs impressionnant de constater qu'ils n'ont pas oublié les gestes et leur savoir-faire, contrairement à nos orfèvres et ébénistes (nous serions aujourd'hui incapables de reproduire certains services de Mme de Pompadour, paraît-il).
Il est incroyable de constater que malgré leur dextérité en architecture et en ornementation, le jour n'entre pas dans leurs édifices qui sont tous extrêmement sombres malgré la multiplication des ouvertures (malheureusement toutes au ras du sol). Le froid et l'obscurité poussaient vraisemblablement à l'abondance de lampes et de feux, augmentant la probabilité d'embrasement. C'est donc une aberration darwinienne qu'ils aient pendant des siècles continué, soit à tout construire en bois, soit à ne pas faire entrer le soleil dans leurs bâtisses.

S'il est une chose que je réalise sur les Chinois, c'est à quel point ils sont malpolis. Même éduqués, ils ne disent pas merci ni au revoir après avoir demandé de l'aide à un vendeur dans un magasin. Dans le métro, cela dépasse la bousculade : les chinois vous rentrent dedans, voire vous tapent carrément, pour un oui ou pour un non. Mieux vaut choquer franc que se contorsionner un peu pour ne pas déranger les autres voyageurs. De même, la relation - guanxi est un des mots les plus importants de la langue - est basée sur un avantage mutuel : si l'on vous rend un service, vous ne devez pas vous sentir reconnaissant mais endetté envers l'autre personne. Rien n'est désintéressé.

Bonne nuit,

N

Pour vous faire retirer de la liste de diffusion, rien de plus simple ! Envoyez-moi un message me disant que je peux me faire piétiner par une marée de Chinois dans le métro et que vous vous en fichez bien.