A la recherche du sérieux perdu


Bom dia amigos,

Les jours passent et mon mémoire ne commence pas. Je vais, je viens, je reviens. Bref, je tourne autour du totem auquel j'ai lié mon mémoire, attendant le grand sabbat où l'on le brûlera. Il faut dire que je me tiens bien occupée pour ne pas tomber dans ce piège barbare tendu par l'administration jovacienne. Comme je vous en avais précédemment informés, j'organise un start-up week-end (les 1er et 2 juin) en collaboration avec la jeune chambre économique de Pékin. J'ai visité ce matin les locaux d'Orange qui n'a que des opérations de recherche et développement ici (dont un projet avec Baidu - le Google local - pour toucher l'Afrique qui a l'air assez chouette). Leurs bureaux sont fantastiques et ils ont même une salle gigantesque appelée "the innovative garden" qui a un coin bar, un coin cinéma, un coin salon et un coin salle de classe. C'est d'autant plus remarquable qu'ils nous prêtent leurs locaux gracieusement. Je m'amuse donc à tenter de démarcher des gens pour trouver investisseurs, coaches, sponsors et participants. Je rédige également des articles pour le site, me découvrant un certain goût pour le marketing digital.

La pollution est tombée et les beaux jours sont devant nous. Avec eux, Pékin n'en finit pas de nous révéler ses beautés. Et pour de tels joyaux, qui ne subirait pas les éternels malotrus du métro ? En émergeant de cette réserve inépuisable d'animaux sauvages, une balade sur les eaux calmes du lac Qianhai par un bel après-midi de printemps vous apaisera. Ayant dûment harnaché deux serviables buddies chinois aux pédales, j'ai laissé l'embarcation harponner les autres barques, n'octroyant aucune place au hasard dans les fourbes déambulations de mon bateau tamponneur.

Une excursion dans les hutongs m'a menée à apprendre une histoire amusante sur les deux monuments emblématiques du quartier. La tour du tambour (rouge) sonnait les heures au tambour et, à la tombée de la nuit, la tour de la cloche se devait prendre le relais en sonnant les heures au son de ses... cloches. Jusque là tout va bien ; l'histoire devient délectable à compter de maintenant. Les cloches prenant plus de temps à fabriquer que les tambours, surtout lorsqu'elles veulent s'enorgueillir de réveiller la capitale de l'empire du milieu, le responsable des travaux menaça les artisans de faire assassiner leurs familles pour hâter la réalisation de l'ouvrage (qui avait déjà connu plusieurs échecs). La fille du maître fondeur se sacrifia et sauta dans la cuve pour que la fonte prenne plus vite. Pendant plusieurs siècles, on put donc entendre retentir dans Pékin ses cris d'effroi à chaque passage d'heure. C'est délicieux, n'est-ce pas ?


En parlant des joies pékinoises, la réponse à la grande devinette de la semaine dernière était bien entendu ces abominables oiseaux qui osent entrer dans la classification des colombes. J'ai nommé les pigeons. Cependant, j'ai pris leur absence pour un témoignage d'une intelligence supérieure des Chinois. Que nenni ! Ces êtres répugnants sont ici choyés et élevés au rang d'animaux domestiques plutôt que d'animaux sauvages. Vraiment, l'homme est stupide partout.

Pour répondre à vos questions, les médias locaux n'occultent pas la grippe aviaire, c'est juste qu'ils la présentent de façon positive ("Le poulet cuit ne présente pas de risque", "la fillette infectée hors de danger", etc.). Ce n'est évidemment pas le traitement de faveur qui est réservé aux nouvelles venues de l'ouest. En général, les titres des médias (je ne peux parler que de la presse en ligne en anglais) sont très factuels, ce qui leur confère une aura rassurante qui voudrait empêcher le lectorat de céder à la panique.

Mon cher et tendre arrivant (enfin) samedi, je vais aller hisser haut et fort le pavillon de la francophonie en terre hongkongaise et vous n'entendrez plus parler de moi pendant deux ou trois semaines, le temps de jouer à Macau l'argent que je n'aurai pas dilapidé en billets d'avion.

Sabbatiquement vôtre,

N

Pour vous faire retirer de la liste de diffusion, rien de plus simple ! Envoyez-moi un message me disant que je peux me jeter comme une cloche dans une cuve de fonte et que ça ne vous fait ni chaud ni froid.

Anecdotes

Contrats
Vous aurez sûrement déjà entendu que les Chinois ne respectent jamais les contrats qu'ils signent. De ce que j'en comprends ici, le contrat fait en réalité office de mémorandum d'entente : il explicite l'état de l'accord à un moment donné. Dans le monde des affaires bridé, l'arrangement est voué à évoluer et à dépasser le contrat. Une négociation ne finit donc jamais. Des partenaires chinois n'hésiteront donc pas à le modifier et, réciproquement, il ne faut pas hésiter à revenir dessus. Il s'agit de prendre de façon positive cet espèce de tableau noir que l'on efface de temps en temps pour réécrire par-dessus. S'en formaliser ne ferait que cristalliser les tensions.

Pots-de-vin
On nous le rabâche partout, il est extrêmement difficile de démêler la corruption des cadeaux qui sont d'usage en affaires en Chine. Même problématique qu'au Brésil : pour éviter six mois ou un an d'attente pour obtenir une autorisation pour mettre une enseigne au-dessus de son magasin, vous aurez toujours le choix de passer par un agent déclaré qui vous permettra de réduire la procédure à trois jours. Il existe donc des solutions pseudo-légales pour donner bonne conscience à des européens scrupuleux. Toutefois, en enregistrant la dépense dans les comptes de son entreprise, le doute subsiste toujours un peu et il est dur de réaliser dans quelle mesure l'on vient de violer le code d'éthique de sa firme. Pas de solution magique évidemment. Souvenez-vous seulement de ne jamais prendre une décision seul : demandez toujours l'avis du responsable juridique de la compagnie ou d'un supérieur afin que, si l'affaire venait à faire parler d'elle, vous ne soyez pas le fusible qui saute. Si les bakchichs persistent, ne nous leurrons pas, c'est bien parce que tout le monde les paie.

Erreurs & contrastes
Chez Huawei (si vous n'avez jamais entendu parlé de ce groupe, sachez qu'il s'agit du plus grand déposant de brevets au monde, et que presque toute l'infrastructure des réseaux téléphoniques que vous utilisez est produite par Huawei), pendant longtemps, un retard de plus de dix minutes le matin donnait lieu à une réprimande. Cette culture généralisée de la punition entrave tout à fait l'esprit de sortie du rang. Un dicton chinois dit que le premier oiseau sorti du nid prend le plomb tandis qu'en anglais l'expression veut que le premier oiseau sorti du nid attrape le ver. Cette distinction montre que la prise de risque n'a durant longtemps pas été encouragée et que les comportements entreprenants sont restés contenus. Mao n'est mort qu'en 1976 et son empreinte reste ancrée dans les mentalités.
Pourtant, cela n'empêche pas les Shangaïais coincés d'aller s'adonner à la roulette et autres jeux d'argent et d'y laisser des sommes folles. Aujourd'hui, cohabitent les employés qui se cantonnent à leur fiche de poste sans jamais faire d'excès de zèle par peur de rater et ceux prêts à aller faire des pieds de nez aux champions nationaux désignés par le gouvernement. C'est le genre d'attitudes très paradoxales que l'on voit coexister.

Les centres commerciaux
Je me souviens combien j'étais atterrée lorsque j'apris qu'en Angleterre ou au Brésil Louis Vuitton et les autres placardaient de préférence leurs enseignes dans des centres commerciaux. Quelle horreur qu'un centre commercial ! Pourtant, dans les pays émergents, l'enfer c'est le magasin indépendant dans la rue. Et pour cause : au Brésil vous prenez le risque de vous faire agresser en allant de boutique en boutique, tandis qu'en Chine c'est la pollution et la saleté qui vont vous pousser à éviter le pavé le plus possible. Les Chinois préfèrent donc passer un après-midi entier dans une galerie marchande gigantesque où ils pourront déjeuner, occuper leurs enfants et bénéficier d'autres services, le tout dans un environnement sauf et sain. Certaines entreprises occidentales ont fait fi de ce précepte et ont voulu jouer la carte de quelques magasins "concept" ambitieux. Mattel avait construit à Shanghai un magasin sur cinq étages dédié à la marque Barbie sans mettre l'accent sur les autres canaux de vente. Etablie en 2009, la Barbie se retira de Chine en 2011, impuissante face à son échec. BestBuy et Media Markt (deux géants concurrents de la Fnac, respectivement américain et allemand) n'ont pas tenu plus de cinq ans chacun non plus pour les mêmes raisons. Ils avaient fait construire une poignée de vaisseaux amiraux en grande pompe mais n'avaient pas réussi à tenir la guerre des prix que se livraient les acteurs locaux qui bénéficiaient d'un réseau de centaines de boutiques dans de petits centres commerciaux.