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Nouvelles #9 Pâques, petite histoire de l'art et culture populaire

le 5/4/2015

Joyeuses fêtes de Pâques à tous !
Pour ne pas déroger à l'adage qui veut que chaque chasse aux œufs apporte ses trombes d'eau sur qui a l'audace de s'aventurer dans les buis trempés pour trouver des délicatesses chocolatées, il fait un bon temps de Pâques en Californie ! C'est donc dans la rosée et le vent que j'ai, frigorifiée, caché pour R les œufs Pierre Hermé que ma mère nous a envoyés d'outre atlantique.

De Young Museum pendant une éclaircie
Ce temps peu clément m'a aussi poussée à me retrancher au De Young Museum, le musée des beaux-arts de San Francisco et sixième musée des Etats-Unis en terme de fréquentation. Avant de m'y aventurer, on m'avait prévenue que je risquais d'être déçue. J'en suis sortie mitigée. La muséographie n'est certes pas terrible : les salles sont organisées par donateurs, les objets juxtaposés n'ont ainsi que peu de cohérence les uns avec les autres et peu de thématiques peuvent être développées. On ressort également avec l'impression que ce que l'on a vu tient dans un mouchoir de poche puisqu'on ne découvre de chaque artiste qu'une unique œuvre mineure. Cependant, aussi superficielle que soit la collection, j'ai tout de même ressenti une atmosphère différente de nos toiles européennes.


Sacramento Indian (1857), Charles Christian Nahl

Sacramento Railroad Station, William Hahn (1874)
Study for the Last Buffalo, Albert Bierstadt (1888)
On peut apercevoir des portraits dont les sujets de loin ressemblent à des Gainsborough ou Largilière. En s'approchant on se rend compte que la qualité n'a aucune commune mesure mais c'est autre chose qui frappe. Là ce gentilhomme qui pose en costume a des traits d'indien, ici la robe de ce cheval est un peu étrange, sur cet autre ce sont ces arbres qui semblent peu communs, cette architecture inhabituelle dans le lointain... Des scènes de chasse du bison aux détails plus subtils, on baigne dans une ambiance décalée peinte avec des codes pourtant si familiers.
Voilà la raison pour laquelle la pauvreté du fonds et de la scénographie ne l'emporte pas dans ce musée puisqu'il réussit à nous imprégner d'un peu d'Amérique.

Anti-mass de Cornelia Parker (1956) - elle est britannique : c'est elle qui a réalisé le plafond avec les cuivres aplatis au V&A à Londres aussi
J'ai fait l'impasse sur l'exposition temporaire qui était juste un prêt d'un musée européen et je ne suis passée que rapidement dans les salles d'art primitif. L'art contemporain présentait les mêmes travers (œuvres placées au hasard, sans thématique, avec une seule œuvre par artiste) sans pouvoir en revanche prétendre nous immerger dans la culture américaine.

Cette virée culturelle me donne l'occasion de vous présenter rapidement les grandes tendances artistiques américaines.

Le neoclassicism (fin XVIIIème, début XIXème) Ce courant permit d'asseoir la naissance de la jeune démocratie américaine en l'enracinant avec des références aux républiques antiques. Tous les portraits des grandes figures de la révolution et les peintures d'histoire sont réalisés dans un style très académique (tous les grands peintres de ce courant ont été formés en Europe). Pensez également à l'architecture imposante des institutions à Washington : ça pullule de colonnades et de portiques grecs. D'un point de vue architectural, le néoclassique a toujours été assez populaire puisque la maison blanche date de 1800 tandis que le mémorial de Thomas Jefferson fut lui construit en 1966.

La Mort du Général Wolfe par Benjamin West (1771)
Georges Washington, Rembrand Peasle (1850, copie du 1824) - De Young Museum

Maison blanche (1800), Lincoln Memorial (1922) et Jefferson Memorial (1966)
L'Hudson River School (XIXème) Cette école de paysagistes portée par Thomas Cole est le premier véritable mouvement artistique américain.
Vous me direz que ce n'est pas très différent du romantisme. Il est vrai que le résultat pictural est semblable et que les membres de cette école connaissaient le travail des romantiques et s'en sont inspiré. La démarche toutefois diffère. Imaginez-vous sur un continent avec, à perte de vue, des étendues de terre vierge jamais foulée par qui que ce soit d'autre que des bisons. Cette nature subjuguait et dépassait les artistes et pour beaucoup, peindre cette nature c'était peindre le divin. En Europe, le romantisme cherche à capturer une nature fantasmée et nostalgique tandis qu'aux Etats-Unis le mouvement veut rendre le sacré et le sublime de cette nature transcendante. C'est une peinture tournée vers l'avenir puisqu'elle découvre et explore une nouvelle terre là où le romantisme est tourné vers le passé.

View near the Village of Catskin, Thomas Cole (1827) - De Young Museum
A River Landscape, Asher Durand (1858)
GReat Canyon of the Sierra, Yosemite, Thomas Hill (1872)
D'autres courants suivront qui travailleront encore la nature et la lumière comme les luministes.

Autoportrait, Mary Cassat (1878)
May Day, Central Park, William Glackens (1904)
A Day in July, Louis Ritman (1918)
The Blue Veil, Edmund Tarbell (1898)
L'impressionnisme américain connaitra aussi son heure de gloire.

Dempsey and Firpo, Georges Bellows (1924)
Cliff Dwellers, Georges Bellows (1913)
McSorley's Bar, John French Sloan (1912)
Le XXème siècle se poursuit avec le réalisme et la fameuse Ashcan School (= l'école de la poubelle) dont les artistes veulent mettre le quotidien au centre de leurs tableaux. Il faut se souvenir qu'à ce moment-là les immigrants européens arrivent par vagues incessantes et apportent avec eux leur lot de misère. On dessine alors avec un coup de pinceau rude des travailleurs, des prostituées, le métro, des alcooliques, la pauvreté, etc.

Nighthawks, Edward Hopper (1942)
Cape Cod Evening, Edward Hopper (1939)
Gas, Edward Hopper (1940)
Le réalisme c'est aussi des artistes comme Hopper (que l'on a pu voir sous tous les angles récemment au Grand Palais) avec ses huiles et aquarelles mélancoliques montrant tour à tour des stations essence, des diners, ses cafés, ses maisons perdues dans les herbes, etc.

Le réalisme évolue au fil de la grande dépression et des guerres, toujours dans l'idée de peindre le monde comme il est dans ses errances sociales, industrielles et guerrières.

No title, Andy Wahrol (1967)
Campbell's soup can, Andy Wahrol (1962)
Oh, Jeff...I love you. Too... But..., Roy Lichtenstein (1964)
Après-guerre, la société de consommation inspire et voit naître le Pop Art ("pop" pour "populaire"). Le mouvement s'appuie toujours sur le quotidien mais le traite à travers ses objets : des collages avec des magazines, des emballages de produits, des publicités mais aussi des célébrités comme Elvis, Marilyn... On critique le matérialisme et l'on abolit l'unicité d'une œuvre en faisant des séries pour la première fois. L'art devient une production industrielle comme le consumérisme qu'elle condamne. Les couleurs sont vives et les traits simplifiés. A l’avant-garde, on trouve Andy Warhol et Roy Lichtenstein.

Lettre sur les aveugles II, Frank Stella (1974) - De Young Museum
Corner piece #4, Sol LeWitt (1976)
Color bands, Sol leWitt (2000)
Parallèlement au Pop art qui est on ne peut plus ancré dans le présent, le minimalisme revient aux formes pures. C'est dans ce courant abstrait que l'on trouve les monochromes par exemple ou les tableaux géométriques.

No.5 de Jackson Pollock (1948) vendu $140m en 2006
Woman III de Willem de Kooning (1953) vendu $138m en 2006
Orange, red, yellow de Mark Rothko (1961) vendu $87m en 2012

Pollock et l'action painting (1950)
Rothko, Willem de Kooning (né hollandais) ou Jackson Pollock sont quant à eux des expressionnistes abstraits. L'idée est de mettre de la force et beaucoup de soi dans ses peintures. Pollock par exemple représente le courant Action painting en ce qu'il jetait de façon spontanée sa peinture sur ses toiles. Ce qui semble compter vraiment, c'est qu'il s'agit des peintures les plus chères du monde.

Orange ballon dog de Jeff Koons (~1990s) vendu $59m en 2013
Nous finirons par le controversé Jeff Koons qui s'expose en ce moment au centre Pompidou. Aussi sceptiques que vous puissiez être vis-à-vis du personnage et de son intégrité artistique, on me dit que l'expo vaut la peine. L'artiste est contesté pour plusieurs raisons : l'énorme machine marketing derrière lui, le côté kitsch de son œuvre qui ne donne lieu à aucune réflexion et l'atelier de plusieurs dizaines d'assistants qui font tout à sa place (Rubens et ses dix assistants avait au moins la décence de faire une retouche finale avant d'apposer sa signature). Petite anecdote amusante et qui ne choquera pas : il a commencé comme courtier à Wall Street.



Voilà pour notre petit tour d'horizon pictural. Permettez-moi de me dédouaner des lacunes et de la grossièreté de mon ébauche, il existe évidement maints peintres et mouvements qui n'ont pas été abordés ni même nommés mais j'espère que cela vous donnera une bonne petite idée des barbouilleurs du coin.
Après cette petite escapade, je suis allée me balader dans Richmond district ou Park-Presidio, un quartier tout à fait tranquille du nord-ouest de San Francisco, coincé entre deux parcs. Avec ses allures de petite ville balnéaire et ses embruns (il borde la côte pacifique), il faisait mauvais d'être en robe et petit pull. On y trouve deux types de population : les deux artères principales sont considérées comme le second Chinatown d'SF tandis que les multitudes de petites rues avec leurs maisons victoriennes et leurs arbres en fleurs offrent ce qu'il faut de tranquillité. C'est vraiment ce qu'il y a de super dans cette ville : mis à part dans SoMa ou le financial district, il n'y a que des maisons partout ! La ville est extrêmement paisible et cela se ressent sur l'humeur des habitants. Si vous croisez le regard de sanfranciscains dans la rue, ils n'hésitent souvent pas à vous dire "Hi !". L'ambiance est vraiment sympa à San Francisco. On entend parfois même des passants faire des compliments à d'autres furtivement dans la rue : "I like your dress" ou "Nice bag !". Bon, ce n'est pas vrai de tout le monde et certainement pas en semaine dans le quartier d'affaires mais en dehors du stress du bureau, les gens sont très détendus. Peace...
En ce dimanche un peu frisquet, les papas sortaient avec leurs fistons échanger quelques balles, la casquette visée sur la tête et le gant de baseball comme une seconde peau. J'imagine que les filles restaient à la maison faire du tricot ou préparer le repas dominical.

Le Golden Gate Bridge en arrière-plan derrière Fort Mason

"Off the Grid" et ses "food trucks"
Comme vous avez pu le lire ci-dessus, l'art américain est très ancré dans le rapport au présent et la représentation du quotidien des classes populaires. Pour continuer notre incursion culturelle, nous nous sommes nous-mêmes mêlés à la plèbe vendredi soir en accompagnant notre voisin texan et ses amis à une sorte de fête populaire qui a lieu une fois par mois au bord de la baie dans l'ancienne base militaire du Fort Mason. Une vingtaine de food trucks (restaurants ambulants dans des camions) s'enroulait autour d'une place, les barbecues fumaient, un groupe de rockeurs locaux donnait un petit concert et tout le monde mourait patiemment de froid en dévorant des burgers et soignant sa cirrhose. Ce fut une chouette occasion pour R de renouer avec sa culture en prenant un bon bain américain.

N'oubliez pas de faire votre évaluation ! C'est l'occasion de faire un petit bilan sur tout ce dont je vous ai parlé jusqu'à présent. Pas de malus si vous n'avez pas tout bon, rassurez-vous. Les assidus en revanche recevront des petits cadeaux.

Pour ma part, je vais tenter d'aller trouver de l'agneau pascal et de quoi faire des œufs à la neige pour perpétuer les traditions.

Bises,

N.