Curiosix Une parisienne parmi les paulistes

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Voir Brasilia et mourir… ou pas.

le 12 octobre 2012

Née de l’amalgame entre le rêve fou d’un homme et le besoin réel du Brésil de contrôler et dynamiser l’intérieur du pays, Brasilia prétend au titre de capitale du monde la plus récente. Souhaité par Getulio Vargas, le projet aurait pu ne jamais voir le jour après le suicide de ce dernier si ce n’était la détermination de son successeur, Juscelino Kubitschek. Elu en 1957, celui-ci promit que la ville serait érigée avant la fin de son mandat. Ce fut chose faite en 1960 lorsqu’après trois ans et demi de bagne pour les ouvriers la ville fut inaugurée.
Se voulant futuriste pour l’époque, malheureusement un peu dépassée aujourd’hui, la capitale fédérale est à cheval entre 1984 et Le Meilleur Des Mondes.

Les ministères s’alignent, identiques, le long de l’Esplanada dos Ministéros, comme si l’on cherchait à rompre toute idée d’individualisme et concept d’identité en imposant ce conformisme. Les immeubles ont beau être tous espacés de plusieurs centaines de mètres, l’on se sent vite étouffé par l’emphase mise sur les bâtiments officiels, ne pouvant échapper à l’impression d’être sans arrêt sous contrôle, privé de tout contact avec les autres habitants. Brasilia n’a d’ailleurs pas été conçue pour que l’on s’y croise. Il fait mauvais d’y être piéton : pas un trottoir, pas un coin d’ombre, pas une buvette et des distances énormes à couvrir dans la chaleur accablante du désert.

On se croirait errant dans le fantasme fou de deux hommes. Juscelino Kubitschek l’a rêvé, Oscar Niemeyer l’a dessiné.

Outre le lac artificiel de Paranoá (plus de 40km2), outre s’élever dans la région la plus pauvre et aride du Brésil, un autre challenge attendait les urbanistes : faire de la ville un avion (utilisez votre imagination en regardant la vue aérienne).
Aujourd’hui âgé de 105 ans, Niemeyer a signé les plus grands bâtiments du pays et Brasilia fut un coup de folie, le maître se voyant confier l’architecture de toute une ville. On peut distinguer les édifices suivants :

L’assemblée, en forme de bol pour recueillir les idées novatrices qui pousseront le Brésil à se surpasser ;
Le sénat, en forme de bol renversé pour contrôler l’assemblée ;
Les bureaux des élus dans deux tours reliées par une passerelle pour former le H d’Humanité ;
Le musée national en forme d’igloo aux anneaux saturniens ; et
La cathédrale métropolitaine qui reprend l’apparence de la couronne d’épines.
Cette cathédrale est d’ailleurs incroyable : elle semble si terne et sombre de l’extérieur alors que l’intérieur est un véritable ravissement. Lumineuse et faite de beaux volumes, l’église accueillait une messe lorsque nous nous y sommes rendus et cela fut l’occasion d’expérimenter l’acoustique de cette pièce extraordinaire. Un écho rond et diffus enrobait les paroles du prêtre et conférait à l’atmosphère d’une aura de mysticité.

Ordonnée mais posée au milieu de nulle part sur un grand plateau vide, la ville est livrée à elle-même et son succès est relatif. Achevée depuis plusieurs décennies (hormis un stade en construction pour la coupe du monde de football), les brésiliens continuent toutefois à en payer les dépenses de construction. Conçue pour 600 000 habitants, elle a attiré déjà 2 millions de personnes qui demeurent majoritairement des paysans pauvres du nord, et peine à retenir les hommes d’affaires qui n’y séjournent qu’en semaine.
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Après quelques petites péripéties dans les villes satellites qui gravitent autour de Brasilia, surgies pour accueillir l’exode des ruraux, nous traversâmes enfin le lago grâce à la merveille architecturale qu’est le Ponte Juscelino Kubitschek.
La relève de la garde devant le palais présidentiel, le Palácio do Planalto, faisait encore plus démodée qu’ailleurs dans cette ville qui se voulait si avant-gardiste.
C’est à la rodoviaria de Brasilia que je quittai G. qui continuait son périple vers le Pentanal et ses gentils jaguars tandis que je prenais mon bus pour 15h de transport pour retourner à São Paulo et retrouver mes méchants camarades. En rentrant, je découvris avec gourmandise dans un tiroir de mon bureau le petit paquet de chocolats que G. avait laissé en remerciement.