Curiosix Une parisienne parmi les paulistes

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Viajemos pelas Fronteiras do Pensamento

le 21 octobre 2012

Profiter du moindre râtelier est un peu le pain quotidien de l’étudiant en échange. Une conférence donnée par Michel Onfray à São Paulo ? Pour sustenter nos esprits malingres, tout ce qui nous tombe sous la dent est bon à prendre.

D. et moi nous faufilâmes donc mercredi soir dans le hall de la Sala São Paulo, ancienne gare ferroviaire réhabilitée en superbe salle de concert. Les places ayant été vendues en début d’année dans le cadre d’un programme de conférences pour plus de R$ 2 000, ce ne fut pas à la bilheteria que nous trouvâmes le laisser-passer tant désiré. Nous attendîmes au contraire les toutes dernières minutes précédant l’ouverture de la conférence pour nous assurer que les portes se fermaient derrière nous et nous entamâmes une tournée des entreprises partenaires de l’évènement pour trouver des invitations. Jamais n’eussions-nous pensé que la chose serait si aisée : au premier comptoir auquel nous nous présentâmes, on nous tendit avec un sourire radieux deux magnifiques billets. Tous émoustillés, nous nous dirigeâmes vers le balcon pour découvrir avec ravissement que nos sièges étaient les meilleurs que l’on pût souhaiter. Avec ces places de choix, tout concourait à nous faire passer deux agréables heures à écouter Michel Onfray déconstruire les mythes de Freud et de la psychanalyse avec une rigueur presqu’implacable. Je ne relaterai pas ici sa démonstration de pourquoi la psychanalyse est une philosophie et pas une science ni pourquoi Freud est un exécrable personnage (cette intervention était elle-même un amuse-bouche d’un cycle de cours d’une quarantaine d’heures proposé à l’université populaire de Caen) mais les intéressés peuvent demander à consulter mes notes. La séance fut, bien entendu, close sous les huées et les proférations d’insultes de spectateurs frustrés de n’avoir rien à redire au passage à tabac en règle du personnage de Freud auquel venait de se livrer M. Onfray avec brio.

Le décervelage ne s’arrête pas là puisque les cours ont doucement repris à la GV après la petite semaine durant laquelle j’ai pu visiter l’arrière-pays brésilien. Chaque semestre se décomposant en deux modulos (bimestres), j’ai eu le plaisir de choisir de nouveaux cours la semaine dernière. Mon choix a été arrêté sur un cours de modélisation financière (enfin un peu de concret), un énième stupide cours de stratégie (le prof est très bien, cela dit) et un cours de diversidade no trabalho (diversité au travail). Si ce dernier est en réalité aussi pipeau que son intitulé l’indique, il présente la vertu, vous l’aurez compris déjà, d’être en portugais. Je ne parviens pas encore à saisir si le prof pense lui-même que sa matière est complètement creuse et n’est qu’un enseignement du portugais déguisé pour étrangers. N’est-ce pas fantastique d’apprendre, en seulement trois heures, que savoir faire un churrasco (barbecue) est une vraie compétence tandis qu’aimer les Corinthiens n’en est pas une ? Heureusement, à la fac, il n’y a pas que les cours, il y a la cantine aussi.

La petite délégation jovacienne eut également la chance de pouvoir discuter autour d’un buffet avec la directrice des programmes internationaux d’HEC, de passage par le Brésil. Nous discutâmes avec sérieux de sujets relatifs aux études, en tant que bons élèves ; et engloutîmes les petits-fours, en tant que bons gloutons.
« Nous (les étudiants brésiliens de la GV) allons à Miami faire du shopping deux fois par an, et pourtant nous ne sommes jamais allés au MASP qui est au bout de la rue » dixit une élève brésilienne de mon master. Cette petite remarque m’a un peu culpabilisée : je passe moi aussi devant le Museu de Arte de São Paulo tous les jours et remets toujours à plus tard sa visite. Comme mon saint-frusquin ne me permet pas d’aller à Miami (merci Maman pour faire de moi une paria), j’ai décidé d’aller découvrir le musée le jour où son entrée est gratuite. Mardi donc, à l’heure à laquelle se lève la génération Y (11h), j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai pénétré ce haut-lieu de l’Avenida Paulista.
A l’intérieur, une expo sur le romantisme prend un sympathique raccourci sur six siècles d’histoire de l’art puisqu’elle mêlait œuvres du début du XVIème à toiles contemporaines. Quitte à proposer un éventail aussi large, on aurait espéré voir au moins quelques préraphaélites. J’y vis peu de toiles allemandes, des Turner ou Gainsborough un peu quelconques mais je fus en revanche impressionnée par le nombre et la qualité de certaines de leurs toiles françaises et italiennes. Je remarquai en particulier deux beaux Renoir et deux superbes Ingres dont je m’étonnai qu’ils appartinssent au MASP et ne fussent pas des prêts du Musée d’Orsay.
Les Deuses et les Madonas en peinture m’attendaient au sortir de mes errances romantiques. Là encore, je ne pus que distinguer certaines belles pièces (Poussin, Botticelli, El Greco, Tintoretto) et, cependant, regretter le manque de cohésion dans leur choix.
Au sous-sol, une exposition sur l’obsession des formes (Giacometti aurait dit que la forme est proportionnelle à l’obsession) proposait pêle-mêle des statuettes chinoises du VIIIème, l’Eternel Printemps de Rodin, un mobile de Calder et des potteries coréennes.

Seul constat possible : des œuvres remarquables présentées sans la moindre cohérence ni la moindre scénographie. Bien qu’il existe à Sampa des musées dédiés à l’art d’Amérique latine, j’ai regretté l’absence de confrontation avec l’art brésilien. Prendre plaisir à voir Cézanne et Delacroix a ses limites, celles-ci sont hexagonales. Le monde occidental exerce-t-il une influence si grande sur les brésiliens au point que ceux-ci censurent leurs propres créations en présence des grands maîtres ? On rêverait que Jeff Koons prenne le même recul.
Dans ma lancée, je poursuivis mon investigation sur l’art au Brésil en me rendant à la Pinacoteca. Dédié à l’art brésilien, ce musée ne peut cependant pas s’affranchir des européens, ceux-ci ayant inondé le Brésil à force de vagues d’immigrations successives. En plus d’une présentation logique d’œuvres du Vieux Continent lorsqu’il s’agissait, par exemple, pour la Mission Artistique Française de fonder une académie des Beaux-Arts à Rio, on retrouve, un peu par hasard, des Maillol, Rodin ou Niki de Saint Phalle disséminés dans les lieux. Quant aux tableaux de pure facture brésilienne, on trouve cela bien, pas transcendant. Concernant la technique, il n’y a rien de novateur, juste des pattes qui nous rappellent d’autres peintres. Les conservateurs ayant fait le choix d’écarter toutes les compositions religieuses, les sujets des peintures, hormis les paysages, manquent de romanesque et ne transportent pas, ne palliant ainsi pas le commun du coup de pinceau. Belles mais trop quotidiennes, ces toiles ne me faisaient pas ressentir grand chose. J’avais davantage l’impression de regarder le travail de l’atelier que de contempler l’œuvre du maître.

Le musée vaut tout de même le détour, d’autant plus que le cadre est fantastique. S’il ne faut retenir qu’eux, apprenez les noms d’Almeida Junior (cf. l’image ci-dessous), Pedro Americano (qui a réalisé le célèbre tableau Independência o morte dont il est question dans un autre article), Oscar Pereira da Silva et Henrique Bernardelli.
Le septième art étant beaucoup plus accessible et, à certains égards, une bien meilleure fenêtre sur la civilisation brésilienne, je vous conseille de regarder Linha de Passe (Une famille brésilienne) de Walter Salles et Daniela Thomas pour lequel Sandra Corveloni reçut le prix d’interprétation de Cannes en 2008. Ce film dresse le réaliste portrait d’une fratrie brésilienne vivant à São Paulo avec leur mère femme de ménage. On y trouve un excellent aperçu du quotidien à travers les thèmes du futebol, de l’évangélisme, des petits boulots, de la délinquance, de l’effritement du concept de la famille et des inégalités sociales.

Je recommande également Tropa de elite (Troupe d’élite) de José Padilha récompensé par un Ours d’or à Berlin en 2008. Le film met en parallèle la police classique, sans moyens et corrompue, et le BOPE (Batalhão de Operações Policiais Especiais) qui est un corps d’intervention d’élite aux méthodes très musclées. La saucisse bringelle, spécialité réunionnaise préparée savamment par H., n’a pas réussi à combler ce creux dans l’estomac causé par cette représentation saisissante des officiers armant les favelas, de la jeunesse dorée de Rio encourageant négligemment les traffics et de la violence à laquelle s’adonnent toutes les parties prenantes.
Toutefois, comme j’habite São Paulo et non pas Rio de Janeiro, je peux mener une petite vie oisive, les favelas ayant été repoussées aux frontières de la ville. Oublié donc le BOPE lorsque vient le vendredi soir et bonjour escarpins vertigineux et mini-jupes à paillettes, São Paulo commence sa nuit… enfin pas tout à fait puisque nous abordâmes notre week-end par un afterwork réunissant les anciens élèves de ParisTech et de Sciences-Po résidant à Sampa. Ce fut l’occasion de discuter des conditions de vie et de travail des français sédentarisés ici. Nous entendîmes tout et son contraire et il fut donc difficile de se faire une opinion. J’en retiens surtout qu’il y a un manque criant d’employés qualifiés. Cela n’est pas dû au niveau des formations mais plutôt à l’accès à celles-ci. En outre, les diplômés ne se portent pas vers les mêmes métiers que nous à la sortie ce qui fait que, dans des entreprises croulant traditionnellement en Europe sous les CV, la concurrence est moins rude (entre brésiliens, au niveau sans expérience pro) puisqu’elles n’ont pas encore gagné leurs lettres de noblesse. On nous a également mentionné plusieurs fois le côté opportuniste des professionnels qui n’hésitent pas à changer d’employeur dès qu’une occasion pointe, décomplexés de présenter des CVs à entrées multiples. Finalement, les personnes que nous avons rencontrées insistèrent beaucoup sur le coût de la vie à São Paulo et la difficulté de se faire embaucher lorsque l’on n’est pas né brésilien.

Après ce petit intermède sérieux, le week-end put commencer et je troquai à l’aurore ma pantoufle de verre (Perrault a bien écrit verre et de toute façon je ne me sentais pas de porter de la fourrure d’écureuil aux pieds) contre des charentaises.