Curiosix Une parisienne parmi les paulistes

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ZombieWalk

le 7 novembre 2012

Alors que certains arpentent encore en France les petits chemins de terre pour fleurir la tombe de Grand-Mère, point de gerbes de houx vert ni de bruyère en fleur dans les cimetières de São Paulo. Beau compromis entre fête des morts et fête des vivants, les paulistes célèbrent les morts-vivants le 2 novembre. Pas le moindre lien avec Halloween dans cette fête impie, il s’agit d’une parade durant laquelle une marée morte-humaine remonte les rues de la ville le temps d’un après-midi. Entre 5 et 10 000 « zombies » bravent ainsi le soleil et exposent en pleine lumière leur maquillage digne des meilleurs films d’horreur ou, lorsque ce n’est pas le cas, leurs vêtements et leurs mains modestement recouverts de sang factice.

Aussi étrange que cela puisse sembler, l’ambiance est restée très bon enfant. Il n’y avait pas de déviation ni de barrage routier pour juguler le traffic mis à mal par le défilé ; les voitures attendaient, patientes, aux côtés d’autobus dont les passagers se devaient de trépigner pendant au moins une demi-heure. Là où nous aurions placé un car de CRS tous les dix mètres pour la moindre manifestation pro-tibétaine à Boulogne-sur-Mer, on ne trouvait que quelques binômes policiers placés exclusivement à l’entrée des stations de métro pour encadrer ces milliers de désaxés. C’était d’ailleurs le plus perturbant : cette foule de fans de mangas et de jeux vidéos aurait pu tout d’un coup révéler en son sein un affreux maniaque et déclencher un mouvement de panique, menant au piétinement de plusieurs dizaines de personnes. La police n’était pas en nombre suffisant pour encadrer quoi que ce soit. Cela témoigne-t-il d’un manque d’organisation ? ou bien les paulistes sont-ils incapables de pareils débordements, leur civilisation dénuée de complexes déjouant l’émergence de fous compulsifs ?
Si l’on continue sur le registre des dévoreurs de cervelle, je reconnais que je me fourvoyais l’autre jour en affirmant que tout était bon pour huiler ses méninges. Aussi illustre que pouvait l’être l’invité, l’allocution de Mohamed ElBaradei à laquelle j’assistai la semaine dernière se résuma à un discours de politique générale sans la moindre portée ni profondeur, juste bon à flatter l’orgueil de ses hôtes. De platitude en platitude, il manquait juste les pleurs de violons pour nous arracher une larme lors de sa profession de foi sur la possibilité de la fin des arsenaux nucléaires du vivant de ses enfants (sans le moindre chiffre ni fait à l’appui, c’est entendu). Des sanglots et des hoquets, j’en eus vraiment à la question du journaliste « Quel rôle le Brésil peut-il jouer dans la résolution du conflit israelo-palestinien ? », mais c’était de rire.
Pour parachever la déconfiture de mon esprit, quand bien même la vacuité du discours d’un Prix Nobel de la Paix ou les cerviphages de la Zombie Walk l’eussent bien entamée, je vais vous révéler l’existence de mes expérimentations liquoreuses. Une fois par semaine environ, H. et moi nous préparons un dîner à la maison, savoureux prétexte d’une nouvelle dégustation. Ne dérogeant au rendez-vous hebdomadaire pour rien au monde, des papillotes de saint-Pierre sur un lit de courgettes nous procurèrent jeudi dernier l’occasion de boire par mégarde un vin italien d’importation que s’était procuré notre colocataire apulien et qui ne nous était pas destiné. Nos papilles, étonnées par la délectation que leur procurait ce qu’elles croyaient n’être que de la piquette chilienne, furent rassurées lorsque l’étourderie leur fût révélée. Cela dit, les breuvages chiliens et argentins sont parfaitement potables et ce, comme aime à le répéter ma charmante mère depuis la sortie du documentaire Mondovino, puisque que tous les vins de la Terre ont à présent le même goût.
Cela dit, si vous tenez à goûter une spécialité brésilienne, n’optez pas pour leur vinho, dont l’arôme et les tannins démentent fermement l’affirmation ci-dessus. Dimanche, H. et moi avons été invitées à partager la feijoada dans une famille pauliste. Vous trouverez ce plat traditionnel absolument partout ici : arroz (riz), feijões pretos (haricots noirs), farofa (semoule de manioc très bon marché qui épaissit la nourriture), couve (chou), boi et porco (la viande de porc et de bœuf).
On arrose traditionnellement le tout de cachaça mais de nos jours c’est avec du Coca Cola que l’on accompagne le plat. Le repas se clôt avec un classique cafezinho bien trop sucré. Quoi, s’exclamèrent nos hôtes abasourdis, comment faites-vous pour boire le café sans rajouter de sucre ? et ils versèrent allègrement une bonne dose d’adoçante (édulcorant liquide bien plus courant que l’açucar) dans leurs tasses.
Je finis mon article par un mea culpa. La femme de ménage est venue me montrer un message écrit et je n’ai pas compris, malgré son insistence, qu’elle voulait que je le lui lise car elle ne savait pas lire. Cette idée me semblait tellement saugrenue qu’elle ne m’a pas effleurée avant une bonne dizaine de minutes. A vivre dans une grande ville, on en oublie presque que l’analphabétisme au Brésil atteint 12% de la population de plus de 15 ans et que leur ancien président, Lula, déchiffrait à peine un texte avant d’entrer en fonction (il a quitté l’école à 12 ans pour être vendeur de rue puis ouvrier – cf. photo fameuse de lui ci-dessous). J’imagine que cela explique en partie pourquoi, lorsqu’ils sont appelés à voter, les brésiliens doivent composer le numéro d’un candidat puisque les forcer à lire son nom serait discriminatoire.