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Nouvelles #22 Chut, faut pas dire Noël

le 20/12/2015

Vous avez dit Noël, inconscients ?
Vous avez le droit de vous affirmer d'une religion en arborant vos plus beaux tsitsits, voiles et croix en tous lieux. Vous avez le droit de stigmatiser des religions en bâtissant votre programme électoral sur le fichage des musulmans et l'interdiction de les laisser entrer sur votre territoire. En revanche, grand mal vous prenne de souhaiter "Merry Christmas" à vos copains américains au lieu de dire "Happy Holidays". Ce serait outrageant.

D'un côté les Américains défendent une liberté d'expression totale (souvenez-vous qu'ils s'offusquaient de ce que les gens qui faisaient l'éloge des attentats contre Charlie Hebdo se fassent réprimander) mais d'un autre côté si vous dîtes un mot de travers ils vous tombent dessus (les médias ont refusé de montrer la couverture du nouveau Charlie Hebdo). En réaction à des lois si fortes permettant tous propos, les Etats-Unis ont vu naître ce politiquement correct de l'extrême, empêchant la critique et bridant la réflexion. Au final, les idées peu humanistes sont rarement combattues, et l'on préfère les balayer par la simple désapprobation, condamnant ainsi les chances de convaincre ceux que l'on rabroue.

Les dégradations récentes au siège de Facebook à Hambourg nous rappellent également que le réseau social continue de censurer par puritanisme les photos d'œuvres d'art montrant des nus alors qu'ils refusent de supprimer les messages haineux des mouvements neo-nazis.

Le film "Qu'est-ce qu'on a fait au bon dieu" qui a été acclamé en France pour porter les valeurs du vivre-ensemble par l'humour n'a pas pu sortir ici car cela aurait requit de couper la moitié du film tant les blagues pouvaient choquer ; pendant ce temps Intouchables a bénéficié d'une sortie limitée aux Etats-Unis et a été considéré comme raciste, encourageant la vision du serviteur noir exploité par son patron blanc.

On en est donc arrivé au point où l'on ne peut plus prendre le risque de souhaiter Joyeux Noël à quelqu'un au cas où votre interlocuteur ne soit pas catholique ou athée. Notre copain G (d'origine juive mais non-croyant) se scandalise par exemple lorsqu'on lui souhaite Merry Christmas ou lorsqu'il voit des sapins de Noël.

Starbucks sortait tous les mois de décembre un nouveau design de gobelets de saison, illustrés de rennes et de flocons avec inscrit "Merry Christmas". Cette année la tasse servie avec votre café fumant est tout simplement rouge pour ne plus heurter de sensibilités. Des clients outrés se sont mis à commander leurs boissons sous le nom de "Merry Christmas", forçant les employés à inscrire le message incriminé. Au début du mois cette affaire a pris des proportions un peu absurdes sur les réseaux sociaux mais a depuis dégonflé.

Les gobelets de 2013 (décoré plutôt sobrement déjà), 2015 et la version 2015 après que le client donne son nom pour avoir son "Merry Christmas"
Quant à moi, je me fais rappeler à l'ordre systématiquement lorsque je prononce le mot "Noël" mais comme je suis une étrangère je passe juste comme une ignorante venant d'un pays d'arriérés.

Et puis, si le mot "Christmas" est tabou, il n'empêche que les sapins et les décorations fassent légion (et participent sûrement par leur recrudescence à l'écœurement des hérétiques). Autour de chez nous, plusieurs maisons ont vu les choses en grand. On déniche même dans Palo Alto une petite rue qui connait son heure de gloire chaque mois de décembre puisque tous les véhicules y font un crochet le soir pour regarder le spectacle d'une allée entière d'habitations décorées.
Si les "Christmas Parties" ont été remplacées par les "Holiday Parties", elles n'en sont pas moins nombreuses. J'ai pu participer à celle de mon entreprise, plutôt décontractée avec tous mes collègues.


Les français du bureau + la RH

Mes copines du bureau
Qui dit Noël dit Père Noël. Rudolf a dû se tromper de maître-renne cette année puisque c'est le Père de R. qui nous a rendu visite pendant dix jours, apportant dans sa hotte des invitations pour la soirée de Noël d'un de ses amis. Ce dernier possède une immense demeure dans la banlieue chic d'Atherton. La chose est suffisamment peu commune pour qu'on s'en étonne : sa maison était construite en pierres ! Je ne pourrais pas juger de la superficie ; c'était suffisamment grand pour que plusieurs pièces du rez-de-chaussée soient vides alors qu'il y avait bien cinq cents invités, c'était suffisamment grand pour qu'on se dise que pendant les 364 jours restants de l'année vivre là-dedans tout seul devait être vraiment angoissant.
Cette réception était intéressante (je n'avais jamais fréquenté autant de robes longues et de smokings-nœuds-papillon), l'ennui a toutefois pointé le bout de son nez. Plus il y a de monde, plus il est difficile de rencontrer des gens malheureusement. Nous avons bien essayé les techniques classiques : s'asseoir à une table occupée, se tenir embusqués au buffet et sauter sur des invités en leur parlant de la crème brûlée... Pourtant, malgré tous nos soins pour engager la conversation, nous ne sommes tombés qu'une seule fois sur des gens sympa auxquels parler (et c'est eux qui nous ont abordés dans la salle de cinéma privée). Il faut reconnaître que nous étions soit trop jeunes, soit trop vieux et qu'il n'y avait personne de notre génération sauf quelques groupes d'amis un peu éméchés.
Pour continuer dans cet esprit festif, R et moi avons assisté à une représentation du ballet Casse-Noisette de Tchaïkovski par le San Francisco Ballet. J'ai trouvé excellente l'idée de faire se dérouler l'histoire à San Francisco en 1915 (c'est le centenaire de l'exposition universelle de San Francisco). Nous avons eu le droit à de superbe décors et costumes durant tous le premier acte : maisons et intérieurs victoriens, belles robes du début du siècle (c'est l'époque Chanel, Lanvin, Sœurs Callot, Poiret...), valse dans une tempête de neige. Malheureusement le second acte (celui où se trouvent les danses principales) n'était pas vraiment au même niveau. On nous a infligé des costumes ridicules, des décors affreux et lorsqu'il ont fait "danser" des enfants de moins de dix ans déguisés en bourdons pour la valse des fleurs, on se croyait dans une comédie de mauvais goût.
Comme autres festivités, il y a bien sûr eu la sortie du nouveau Star Wars. Six salles projetaient le film en même temps rien que dans notre cinéma. Dans le registre l'empire contre-attaque, tous les français de SF s'étaient donné rendez-vous au consulat de France pour faire leur procuration durant l'entre-deux-tours. J'y suis allée avec mes collègues et suis tombée sur un type qui était avec moi au Brésil au consulat.
Ce soir, une voisine tenait un petite réception de Noël et avait invité une chorale dirigée par sa fille pour venir chanter des carols de Noël. A quarante chanteurs en tenues shakespeariennes, je dois avouer que ça valait le déplacement.
Ah, j'oubliais : il s'est mis à pleuvoir. Tellement qu'en trois semaines de pluie tout est vert à nouveau !

Je vous dis à bientôt : j'arrive à Paris cette semaine.

Bonnes fêtes à tous !