Curiosix La France n'est pas une nostalgie, elle est une espérance

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Nouvelles #21 Paris - San Francisco - Mexico

le 23/11/2015

“Tu as vu ce qu’il se passe en France?”
Je lève les yeux sur mon collègue en riant et me demandant dans quelle Scylla croustillante nos petites fripouilles balkanystes ou sarkosystes ont bien pu tomber encore. A sa mine grave, mon sourire s’efface et mon front se ride tandis que je me jette sur les sites de nouvelles. N. est français et a le même âge que moi. Tous les deux nous passons un après-midi angoissant à tenter de contacter nos proches et regarder impuissants les chiffres monter sans décélérer jamais, un peu perdus. Autour de nous, la frénésie du bureau se fait quotidienne. Quelques rares collègues lancent nonchalants « Tu as vu ce qu’il se passe dans ton pays ? »

Près de nous un autre français. Cela fait quinze ans qu’il est aux Etats-Unis, sa femme est américaine, ses enfants parlent à peine français. Il s’en fout. Un unique « Woah » s’échappe de ses lèvres, sitôt closes par d’autres occupations. Il vient me parler de la réunion que nous avons dans 15min. J’ai du mal à suivre ce qu’il me raconte. Il voit le fil d’actualités sur mon écran. « Tu as de la famille touchée ? » Non. C’est plus qu’il ne lui en faut et il enchaine sur je ne sais quel ordre du jour insipide. Il nous donne froid dans le dos, à avoir ainsi complètement coupé les ponts avec la France et traitant l’évènement avec banalité et désintéressement. Nous angoissons d’un jour nous trahir ainsi.

La veille j’avais été secouée en lisant les gros titres sur l’attaque au Liban mais l’indifférence générale de mes collègues lorsque j’avais annoncé la nouvelle au déjeuner l’avait chassée bien vite de mon esprit. Cette fois-ci, entourée d’étrangers, c’était nos souffrances qui se voyaient négligées sans que nous ne puissions plus fermer les yeux avec autant de facilité.

A l’abri du monde, sur notre île-continent par-delà les océans, nous avons connu le même déboussolement, senti la même peine, vécu la même morsure. Mais, nous n’avons pas connu Paris désertée, nous n’avons pas senti la terreur, nous n’avons pas vécu la peur. Il n’y avait personne avec qui faire front, avec qui deviser, avec qui marcher, avec qui se recueillir. Il n’y avait qu’une foule d’indifférents. Ils nous renvoyaient la cruelle image de notre propre détachement lorsque la banalité de l’attentat frappe un autre pays.
A l’issue d’un pesant quart d’heure de silence sur le perron du majestueux Civic Center, R et moi sommes allés nous requinquer à l’Asian Art Museum. S’y tenait une exposition sur le japonisme : l’inspiration artistique nouvelle puisée dans l’ouverture forcée du Japon à la fin du XIXème siècle. Atteints dans la chair, il est parfois bon de se rappeler où sucer la substantifique moelle. Monet, Matisse, Pissarro, Signac, Manet… au milieu de ces coups de pinceau familiers je me suis souvenu de ce que nous pleurions mais ne pouvions perdre. Je n'ai jamais écrit que par les affres, disait Antonin Artaud.
Durant cet étrange weekend de flottement et d’errance, nous rendîmes visite à une famille éloignée de R à Santa Rosa. La dame chez qui nous logions était la veuve de Charles Schultz, le père de Snoopy. Pas moyen d'échapper au petit chien laconique, tantôt aviateur, tantôt boxeur, toujours philosophe. Pas très populaire en France, il jouit aux Etats-Unis d’une grande renommée grâce aux millions de produits dérivés et aux films que les licences ont permis. Dans la maison pour les invités, les draps étaient Snoopy, les tableaux Snoopy, les serviettes de bain Snoopy, les carreaux de céramique Snoopy, le vin Snoopy… La famille a également fait bâtir une super patinoire et l’équipe de hockey locale arbore Snoopy sur son jersey.

Je dois admettre qu’outre ne pas avoir la tête à cela, je n’avais jamais lu non plus plus de trois bulles Snoopy. Je n’ai donc pas fait montre d’autant de ferveur que les japonais du musée Charles Schultz. J’ai toutefois apprécié les collaborations avec des artistes de renom comme l’emmaillotage de la niche par les plasticiens Christo qui avaient emballé le pont neuf et le Reichstag notamment. De grandes maisons de couture comme Balmain ou Dolce & Gabbana avaient aussi joué le jeu en habillant Snoopy.

La niche de Snoopy emballée par le couple d'artistes Christo.


Chez Snoopy
La semaine s’écoula et les menus plaisirs revinrent peu à peu. Ce weekend, nous allâmes trainer nos caligæ au Mexique ! Je rêvais de déambulations insouciantes dans la ville, de terrasses de bistros et de café avec les copines. J’en reçus mon compte et ne m’en détachai qu’à contrecœur.


Les toits de la cathédrale et la verrière de l'hôtel où le dernier James Bond fut tourné
Pédalant sur nos Ecobicis, nous nous baladions dans les rues verdoyantes de Mexico, admirant là de vieilles demeures chamarrées, ici une multitude de petits comptoirs à café ou bien encore l’impressionnante diversité d’arbres tropicaux ombrageant les rues. Je retrouvai la joie d’un mode de vie européen et j’ai bien dû marcher ici plus en deux jours qu’en deux mois de Californie. J’eus bien entendu la joie de revoir AC, G et M, épanouies et coulant des jours paisibles avec leurs mexicains respectifs.
Malgré le soin qu’elle a mis a recréer un petit intérieur un brin parisien dans son appartement, on sent qu’après quatre ans, AC est bien installée entre ses diners de Noël à tous vents, les festivals de musique et les escapades dans tous les recoins du pays.
M compense le troc de son confortable salaire de VIE pour un contrat local chez Cartier en accaparant les charmes d’Eduardo, le hipster financier moustachu.
Apres un an en PME mexicaines, G a réussi son baptême du feu durant la plus grosse semaine de vente de l’année chez Linio, l’Amazon mexicain (une boîte de Rocket Internet). Elle partage toujours sa vie avec Alejandro et l’adorable chatte Swap.
L’Alejandro nous conduisit aux Estacas, à trois heures de Mexico. Apres avoir plongé dans une rivière parmi les bougainvilliers, le courant nous porta sans effort sous une canopée tropicale. Nous nous croyions seuls au monde avec les oiseaux saluant notre passage tandis que nous voguions sur eaux limpides au milieu de cette nature splendide.
Nous passâmes la nuit chez le père d’A, dont le jardin pareil à celui des Hespérides voyait ses arbres se courber sous le poids de tant d’oranges, de tangerines et de caramboles.
A toutes mes amies aux annulaires nus et 25 ans sonnés, je souhaite une excellente Sainte Catherine ! Puisse l’avenir nous choyer encore de cette tranquillité de catherinettes.

N

PS: Après avoir écrit ce mail dans l'avion, j'ai passé une heure et demie retenue au contrôle aux frontières et ai découvert que j'étais... clandestine ! En obtenant le visa de travail H1-b, mon visa actuel - le J1 - a été annulé. Or, mon visa H1-b m'attend en France donc il semblerait que je sois en situation de clandestinité depuis plus d'un mois. Comme la douane n'a pas vérifié mon visa au Mexique avant mon vol, je me suis retrouvée illégalement aux Etats-Unis. Ils se sont mis à trois ou quatre officiers pour comprendre ma situation dans leur système (un cas très rare apparemment) et ont finalement fait une entorse au règlement pour me laisser entrer.
Je devais aller au Canada pour le travail la semaine prochaine. Malheureusement, à moins d'obtenir un transfert de mon visa du consulat de Paris au consulat de Montréal pendant la semaine de Thanksgiving, j'ai peu de chances de rentrer aux Etats-Unis sans visa une seconde fois.

L'hommage à Paris par Snoopy