Curiosix Une parisienne parmi les paulistes

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De l’économie et des Brésiliens

le 8 décembre 2012

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L’économie au Brésil

Cela ne vous aura pas échappé, la croissance est en berne dans les pays BRIC cette année. L’espace pour croître que leur octroyèrent la crise, les Européens enlisés dans le bourbier de la dette et les Etats-unis empêtrés au Moyen-Orient s’est réduit et l’on anticipe qu’une telle situation d’expansion débridée ne se représentera pas immédiatement pour les pays émergents.

En outre, le Brésil de Lula qui s’opposait à l’hégémonie américaine donnait aux investisseurs des frissons de peur autant que d’espoir que le pays soit à la hauteur de ses prétentions. Les révolutions économique et sociale étaient en marche, croyait-on. La présidence de Dilma Rousseff, dont la politique est beaucoup plus brésilotrope, laisse apparaître le morcellement des succès passés. Le terme custo Brasil englobe les dysfonctionnements du pays : inefficacité administrative, taxes bien trop fortes, taux d’emprunts prohibitifs pour les entreprises comme pour les ménages (les banques exigent 15-20%, mais le taux directeur vient d’être abaissé de 13,5 % à 7,25%), manque d’infrastructures (écoles, hôpitaux, bureaux, embouteillages, etc.), real surévalué (d’autant plus que le dollar a été maintenu bas par les programmes de Quantitative Easing des Etats-Unis récemment). Ajoutez à cela un salaire minimum élevé par rapport aux autres pays émergents (622 reais en 2012, soit 224 euros) et ayant augmenté de 34% en trois ans, ainsi qu’une législation du travail offrant peu de flexibilité.

L’intérieur du pays échoue à garantir l’accès à l’éducation et à la santé ce qui limite son développement. Conséquence de la plaie qu’est le coût excessif de la chaîne logistique, les zones de productions sont situées le plus près possible du consommateur final. Une mécanique vicieuse s’est donc installée : la population agglomérée sur le littoral ne veut pas s’en déloger de peur de perdre en qualité de vie et les outils productifs restent proches des grandes villes côtières.

Selon l’indicateur Doing Business de la banque mondiale, le Brésil vient de reculer de deux places et est à présent 130ème sur 185 pays. Vous saisissez aisément que le Brésil est pris dans un étau : trop cher pour être un atelier du monde, trop sclérosé pour rivaliser dans le domaine de l’innovation et des produits high-tech. Et Embraer ? Je pourrais m’en tirer par une pirouette en disant qu’Embraer a longtemps été soutenu par le gouvernement. Cependant, pour m’y être rendue, je pense que c’est une entreprise qui a été bien gérée avec un effort notable sur la productivité et un changement de cap remarquablement opéré vers l’aviation d’affaires et la Chine. C’est le digne fer de lance de l’industrie brésilienne. Et ces ressources, ce pétrole, ce gaz ? Depuis 2011, le Brésil est effectivement exportateur net de pétrole et l’on a découvert en 2007 d’importants gisements pré-sel au large des côtes de l’état de Santa Catarina qui, s’ils étaient exploités, feraient du Brésil l’un des plus grands producteurs mondiaux. Toutefois, l’or noir tout-puissant ne suffit pas pour sortir des millions de gens de la pauvreté.

Et la Copa do mundo en 2014 ? et les Jogos olímpicos e paraolímpicos en 2016 ? Les stades seront prêts. Cela dit, les louanges s’arrêtent ici. Dans certaines villes comme Cuiaba ou Manaus, il y aura davantage de places dans les gradins que de lits disponibles dans les hôtels. A Rio de Janeiro, on a prévu un stratagème ingénieux : un appontement construit pour l’occasion vera s’amarrer jusqu’à six bateaux de croisières venus accueillir le surplus de visiteurs le temps des JO (environ 12 000 lits supplémentaires). Dans les autres lieux, rien. Si les cariocas – en excluant les habitants des favelas – vont clairement bénéficier des investissements, tout le monde ne peut pas prétendre à autant de retombées.

Tous les Brésiliens admettent volontiers avec fatalisme que les investissements engagés pour les deux événements majeurs à venir sont bien superficiels et qu’ils détournent pour les quatre prochaines années des fonds qui devraient être alloués à la san†é, l'éducation et pour combattre les inégalités.

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Les Brésiliens

Voici une esquisse de ce peuple en quelques traits de caractère. Bien évidemment, je peux difficilement généraliser aux deux cents millions d’autochtones.

Avertissement : amis brésiliens francophones ou accros de Google Translate, cet article pourrait heurter vos sensibilités.

La bonne humeur. Les Brésiliens sont toujours emballés par tout. Dans la file du supermarché, dans le bus, au bar, vous vous ferez toujours accoster par ces sempiternels bavards. Leur philosophie de la vie demeure l’alegria. Ils vous diront toujours sim (oui). Comme vous le découvrirez plus loin, leur parole ne garantit pas un résultat mais dès que l’on comprend qu’un sim n’a pas valeur d’engagement, on relativise et on tudo bem-ise la vie. Surtout, les Brésiliens sont gentils et chaleureux : toujours leur porte vous sera ouverte.

La ponctualité. J’aimerais dépeindre une scène qui est survenue il y a quelques jours. Alors que le cours avait commencé deux heures et demie plus tôt et que nous voyions poindre la fin de notre calvaire, une jeune brésilienne arrive dans la classe, le sourire aux lèvres, et va prendre place innocemment. Comme il ne s’agit pas de la première fois qu’elle manque aussi manifestement de ponctualité, je demande à mon voisin, brésilien lui aussi, si son retard n’est pas choquant. « Non, pas du tout, pourquoi le serait-ce ? » me répond-il interloqué. Quand on a eu l’habitude de se voir bloquer l’entrée après que le cours a commencé en France, on peut trouver cette réponse un peu déconcertante. A bon entendeur, si vous avez des pannes d’oreillers à répétition, votre éden est ici.

La fiabilité. Ne vous fiez pas à la motivation évidente que va montrer le Brésilien lorsque vous lui proposez quelque chose. Lorsqu’il dit « Oui, je le ferai », il veut en réalité dire « Oui, ce serait génial si je le faisais ». Son oui signifie qu’il adhère à l’idée, pas du tout qu’il va la réaliser. Deux exemples pour illustrer ce cas.

Deux semaines avant le break, une brésilienne apprend que certains vont dans le Nordeste. Elle leur dit avec un enthousiasme débordant : « C’est fantastique, je peux venir avec vous? ». Bien sûr, répondent-ils. Ils n’entendront plus jamais parler d’elle. Une semaine avant le break, elle apprend que je vais à Bahia : « C’est trop bien, peux-tu me donner les noms des auberges et le détail des billets d’avion ? ». Bien sûr, répondis-je. Pas de doute, elle n’est jamais venue. Un jour après le début du break, elle apprend qu’H. est à Foz do Iguaçu : « Je prends mon ticket, j’arrive demain ». Bien sûr, répondit H. Elle ne la verra jamais au bord des chutes. Trois jours avant la fin du break, elle apprend qu’H. s’apprête à aller à Florianopolis : « Quand arrivez-vous ? ». Cette fois-ci, la sage H. ne répondra pas.

En discutant des différentes étapes d’un rapport que nous devions rédiger, nos trois co-équipiers brésiliens s’empressent de s’attribuer le plus de tâches possible et nous laissent celle de coordonner et de garantir le bon déroulement de l’exercice. Nous fixons alors un délai que tous se précipitent d’accepter. La date butoir approchant et n’ayant toujours rien reçu, nous les relançons. « C’est presque fini, il me reste un petit truc encore à faire », nous rassurent-ils. A l’énième relance, nous recevons des documents bien loin de ce que l’on attendait. Les cravachant un peu, nous parvenons à réunir le fond, il nous reste à ficeler ce tissu décousu et à corriger les quelques phrases « surprises » glissées ici ou là dans les textes (pas de sujet, pas de verbe, contradictions avec le paragraphe précédent, etc.). L’effort fut vain puisque l’un de nos camarades nous apprend qu’il a déjà envoyé le document que nous considérions provisoire. Ótimo.

Le machisme. « Je ne comprends pas pourquoi les Européennes mettent ces maillots de bain qui cachent leurs formes alors qu’elles ont – parfois – des beaux corps », dixit un Pauliste d’une trentaine d’années (on remerciera au passage le « parfois » pour complimenter notre physionomie). Le string est de mise à la plage, quel que soit votre âge. Et le nudisme ? « Ah non, c’est vraiment dégoûtant ! ».

J’ai déjà évoqué le nombre d’étudiantes qui se font faire des chirurgies esthétiques ; en bord de mer, c’est un défilé permanent de femmes fraichement remamellées. Cependant, le plus important pour ces messieurs ne se trouve pas devant. En Europe, un garçon vous voit de dos et va vous dépasser pour vérifier si votre visage est aussi enchanteur que votre silhouette. Au Brésil, le rapaz (appréciez comme la traduction de « garçon » en portugais ressemble à « rapace ») va se retourner pour contrôler que vos fesses sont bien à l’image de votre faciès. Le coup d’œil discret ici n’est pas de mise, bien entendu. En ville, il se retourne ostensiblement sur chaque passante, qu’elle soit seule ou au bras de son compagnon. A la plage, si ce qu’il voit lui plait, il va siffler et regarder les autres hommes à proximité pour chercher l’adhésion.

La mixité. S’il y a de grands clivages sociaux au Brésil, ceux-ci s’effacent toujours à la fête. On dance avec tout le monde mais on n’habite pas avec tout le monde. Je pense que la classe haute est déchirée : elle veut à la fois se démarquer de la plèbe en s’exhibant dans des quartiers surveillés par des gardes privés mais garde un œil maternel sur son compatriote qui invente mille combines pour s’en sortir. L’éventail de couleurs de peau est une gamme bien plus large qu’en Europe mais, soyons honnêtes, à la GV on est presque tous blancs ou jaunes.

Jeitinho. C’est un concept qui est fortement ancré dans la culture brésilienne et qui correspond à la débrouille, à la capacité à contourner la loi pour arriver à ses fins. Attention, ce terme est globalement positif et ne couvre pas du tout la corruption. Il dénote un rapport à la loi très différent de celui qu’ont les Européens. Si pour nous la loi peut être modifiée, avant tout on ne peut la transgresser. Ici on comprend qu’à terme la loi est juste et représente un idéal, mais dans les faits c’est une lourde entrave.
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Sur ces quelques clichés qui ne se sont pas démentis durant ces cinq mois passés ici, j’abandonne ma plume jusqu’à février et la troque pour une baguette. Vraiment, il est grand temps de rentrer manger une tartine de beurre salé.

Que j’aimais ce temps gris, ces passants, et la Seine
Sous ses mille falots assise en souveraine !
J’allais revoir l’hiver. – Et toi, [Paris], et toi !


Musset